Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- De l'ermitage à la communauté cistercienne : historique de l'installation et de la construction
- Chapitre premier
- La création d'une abbaye
- Chapitre II
- Le soutien de la société féodale
- Chapitre III
- Étude topographique
- Deuxième partie
- L'abbatiale Notre-Dame d'Acey : évolution historique et architecturale
- Chapitre premier
- De la construction à la Révolution : l'entretien d'une abbatiale au fil des siècles
- Chapitre II
- De la Révolution au classement au titre des Monuments historiques : abandons, aménagements, rénovations
- Chapitre III
- L'abbatiale Notre-Dame d'Acey, Monument historique
- Troisième partie
- Étude archéologique de l'abbatiale
- Chapitre premier
- Observations générales
- Chapitre II
- Analyse des différentes parties de l'église abbatiale
- Chapitre III
- Le déroulement du chantier de construction
- Conclusion
- Annexes
Introduction
L'abbaye cistercienne Notre-Dame d'Acey, fondée au xiie siècle dans le comté de Bourgogne, est aujourd'hui la dernière abbaye masculine de cet ordre à être encore occupée en Franche-Comté. De plus, elle conserve toujours son église d'origine, bien que remaniée au fil des siècles, tandis qu'il ne reste que peu d’éléments des autres abbayes cisterciennes du comté. Sa situation exceptionnelle explique qu’elle ait été très étudiée d'un point de vue historique ainsi qu’architectural. Si l'ouvrage de Pierre Gresser, Maurice Gresset, René Locatelli et Élie Vuillemin, L’abbaye Notre-Dame d’Acey, fait aujourd'hui référence pour son histoire, l'analyse architecturale de l'abbatiale pose davantage de problèmes. Les auteurs qui ont essayé de la dater se sont principalement appuyés sur des considérations d'histoire de l'art. Or, les édifices cisterciens ont souvent eu recours à des solutions passéistes et à des emprunts divers qui compliquent l'analyse. De plus, certains auteurs ont négligé le recours aux archives du monastère, intégrant parfois des modifications ultérieures dans leur raisonnement. L'étude menée ici se propose donc de reprendre le dossier de l'église abbatiale, afin de retrouver l'architecture du bâtiment d'origine, les méthodes et le déroulement de sa construction, et tenter de proposer une datation. Pour cela, le choix a été fait de combiner les approches du dépouillement d’archives, de l'histoire de l'art mais également de l'archéologie du bâti. De même, les études récentes menées sur des édifices comme la cathédrale de Langres, l'abbatiale de Cherlieu ou encore les églises romanes et gothiques du comté permettent de mieux appréhender des bâtiments qui ont pu influencer l'architecture de l'abbatiale. On s'est efforcé dans la première partie d'établir le contexte de construction de l'édifice à travers celui de la création de l'abbaye, dans la deuxième partie de retracer l'évolution architecturale de l'église – afin de retrouver le bâtiment d'origine –, et dans la troisième de s'intéresser au bâti de l'abbatiale du xiie siècle. Le but de cette enquête a été de renouveler les connaissances sur cet édifice mais également d'arriver à le replacer dans le mouvement de constructions de l'ordre cistercien des premiers siècles.
Sources
Les archives relatives à l'histoire de l'abbatiale sont conservées en différents lieux : aux archives départementales du Jura et du Doubs, à la Bibliothèque nationale de France et la bibliothèque municipale de Besançon, à l'abbaye d'Acey et enfin à la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine. L'abbaye se situe dans l'actuel département du Jura, ce qui explique que la majorité de ses archives médiévales et modernes s'y trouve (série 15H). Il s'agit principalement des chartes et pancartes de donations pour l'époque médiévale, et de visites des bâtiments et de travaux pour l'époque moderne. Cependant, le démembrement des fonds des parlements de Dole et de Besançon à la Révolution a entraîné la présence de certaines pièces isolées aux archives départementales du Doubs (série 53H) : la copie d'une pancarte de l'archevêque Humbert de 1137 et du cartulaire de l'abbaye, quelques visites, ou encore des rapports de procès entre les abbés commendataires successifs et la communauté religieuse. La Bibliothèque nationale de France conserve le cartulaire de l'abbaye et quelques documents qui lui sont relatifs, tout comme la bibliothèque municipale de Besançon. Les archives du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle sont, elles, restées à l'abbaye d'Acey. Ces documents concernent l'implantation de différentes communautés à Acey durant cette période et les travaux de réfection : correspondances, plans, devis, factures, etc. Enfin, la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine possède les archives des travaux effectués dans l'abbatiale à partir de son inscription au titre des Monuments historiques en 1945.
Première partie
De l'ermitage à la communauté cistercienne : historique de l'installation et de la construction
Avant de concentrer l'étude sur l'abbatiale, il était important de comprendre le contexte de construction de celle-ci. L'histoire de l'abbaye d'Acey commence par un ermitage, qui se régularise jusqu'à adhérer à l'ordre cistercien. Ces deux expériences religieuses ont lieu avec le soutien de l'ensemble de la société féodale du comté, qui offre aux frères les terres et les droits permettant leur installation, leur développement et la construction de bâtiments. Il a finalement été essentiel de prendre en compte l'influence de l'emplacement choisi sur l'histoire des constructions.
Chapitre premier
La création d'une abbaye
La création de l'abbaye d'Acey est l'aboutissement du processus de régularisation d'un ermitage situé au Val Saint-Jean, dans la forêt de Serre, à 5 kilomètres environ au sud-ouest de l'abbaye. Celui-ci n'est connu que par deux chartes promulguées par l'archevêque de Besançon, Anséri, le 27 novembre 1127 et le 14 août 1133, afin de confirmer des donations qui ont été faites à l'ermitage. C'est ici une expérience typique du foisonnement religieux engendré par la réforme grégorienne au xie siècle. Deux frères, Constantin et Robert, choisissent la pauvreté, la solitude et l'ascèse d'une vie érémitique afin de marcher dans les pas du Christ. Mais les deux chartes permettent de noter que l'expérience évolue rapidement vers une vie communautaire : la charte de 1127 fait ainsi état de la présence de consociis, tandis que celle de 1133 explique que les frères sont organisés selon un sancto ordine. Il s'agit d'une évolution normale pour ce genre d'expériences spirituelles : le succès d'un ermitage attire de nombreux disciples, ce qui oblige à s'organiser pour une vie en collectivité. L'expérience se régularise donc, jusqu'à créer un nouvel ordre monastique ou en intégrer un déjà établi.
Le projet de fondation d'une abbaye cistercienne voit le jour en 1133 ou 1134, comme le montre une pancarte de l'archevêque Humbert, successeur d'Anséri, datée d'avant 1136 : celle-ci recense la donation d'un clerc, Thierry, à Anséri de ses possessions à Acey, dont une petite église, afin que l'abbaye de Cherlieu y fonde un nouveau monastère. Anséri meurt le 20 avril 1134, ce qui signifie que la décision a été prise entre la charte de 1133 et la mort d'Anséri. Il paraît évident que l'abbaye d'Acey est l'aboutissement de l'ermitage puisque le Val Saint-Jean devient une grange de la nouvelle abbaye. De plus, l'abbaye de Clairvaux favorise à cette époque les substitutions dans le comté, c'est-à-dire l'intégration à l'ordre cistercien de communautés en déshérence. Saint Bernard joue ainsi un grand rôle lors de ses voyages en Italie à partir de 1131 car il convainc des communautés sur son passage. On sait d'ailleurs l'amitié qui le lie à Guy, abbé de Cherlieu et fondateur d'Acey. Il aurait donc pu demander à ce dernier de prendre en charge la nouvelle fondation. Intervient alors la donation du clerc Thierry, au moment de la recherche de terres pour établir ce monastère. Le choix de l'ermitage d'adhérer à l'ordre cistercien plutôt qu'à un autre s'explique facilement puisque les valeurs de cet ordre sont proches de l'idéal érémitique.
Les archives ne disent rien de la construction de la nouvelle abbaye. René Tournier a évoqué la présence à l'abbaye d'un moine maître d’œuvre nommé Bertrand, témoin d'une donation vers 1140. Celui-ci a peut-être été envoyé par la maison-mère afin de construire des bâtiments répondant aux besoins de l'ordre. De plus, René Locatelli estime, d'après l'examen des donations, que les assises temporelles de l'abbaye sont établies dès cette même décennie. La communauté a donc les moyens financiers pour établir ses bâtiments. Jules Gauthier affirme, lui, que l'église est consacrée un 21 avril, vers 1260. Nous aurions donc ainsi des repères chronologiques pour dater la construction du monastère. Cependant, l'église n'a peut-être pas été la priorité du fait de l'utilisation possible de l'église du clerc Thierry comme lieu de culte provisoire. De même, la consécration n'intervient pas toujours dès la fin des travaux. L'un des buts de l'étude du bâti a donc été de tenter d'émettre une datation de la construction de l'abbatiale.
Chapitre II
Le soutien de la société féodale
Si les archives médiévales ne disent rien de la construction, c'est que la plupart d'entre elles sont des chartes et pancartes récapitulant les donations de terres et de droits au profit de l'abbaye. Celles-ci permettent de connaître les possessions de cette dernière mais aussi les donateurs. On remarque alors que toutes les catégories de la société apportent leur soutien à l'abbaye. L'archevêque Anséri aide à la création de la nouvelle abbaye et confirme les donations, tout comme ses successeurs ; le clergé peut exempter l'abbaye de dîmes, comme le fait le prêtre de Brans ; les monastères d'autres ordres, comme l'abbaye Saint-Oyend de Joux, offrent également des terres, etc. Il s'agit pour ces ecclésiastiques de montrer leur fraternité à la nouvelle communauté. Cependant, les donations sont majoritairement effectuées par des seigneurs laïcs, qu'ils soient locaux, comme les Pesmes, les Thervay ou les Apremont, ou plus importants, comme le comte Renaud III lui-même. Ces seigneurs espèrent ainsi obtenir des prières pour le salut de leur âme et profiter du prestige du monastère, désormais associé à leur famille. La tradition a d'ailleurs fait de Renaud III le fondateur de l'abbaye d'Acey. Si la décision de fonder l’abbaye ne semble pas lui revenir, il est le donateur d'un ensemble de terres situées à Acey qui permet à la communauté de s'installer.
Chapitre III
Étude topographique
L'emplacement de la nouvelle abbaye n'est pas choisi au hasard. La communauté part en effet à la recherche de terres répondant à ses besoins et obtient des donations. Or, la région d'Acey comporte, à l'échelle régionale comme locale, des atouts recherchés. Tout d'abord, le vide religieux de la région en ce début du xiie siècle évite toute concurrence avec un établissement qui aurait pu accaparer les donations et limiter l'intérêt porté à un nouveau monastère. De plus, la région comprend de nombreux villages et châteaux, ce qui indique la présence de seigneurs prêts à soutenir ce genre d'expérience, comme nous venons de le voir. À une échelle plus réduite, la vallée de l'Ognon présente les caractéristiques avantageuses de l'isolement – les risques d'inondation ayant fait fuir la population vers les hauteurs –, de l'approvisionnement en eau et en terres à cultiver. Pour finir, la présence d'un lieu de culte provisoire n'est pas à négliger. L'abbaye s'installe donc à Acey sur une terrasse alluviale, au bord de l'Ognon. Les moines construisent d'ailleurs un canal pour en utiliser les eaux.
Cependant, il faut comprendre que si la communauté choisit un site qui semble adapté, celui-ci conditionne également les constructions : en effet, la terrasse choisie se situe au sud de l'Ognon. La topographie des bâtiments est donc inversée à Acey par rapport au schéma traditionnel, afin de placer les bâtiments conventuels au plus proche de l'eau. L'église se situe donc à la droite du cloître. L'emplacement a également un rôle dans l'histoire des bâtiments : en effet, la vallée de la Saône sert de zone frontière entre le royaume capétien et l'Empire germanique. Elle est donc traversée et dévastée à chaque conflit entre les deux puissances, ce qui n'est pas sans conséquence sur le bâti de l'église, comme le montre l'évolution historique de l'abbatiale.
Deuxième partie
L'abbatiale Notre-Dame d'Acey : évolution historique et architecturale
Il s'est agi ici, par le biais des archives, d'établir les transformations successives que subit l'église abbatiale au fil des siècles. Le but n'était pas seulement de connaître l'histoire de l'édifice, mais également de retrouver l'abbatiale du xiie siècle en déduisant les modifications ultérieures. Il a cependant fallu garder à l'esprit que ces sources ne nous parlent pas forcément de tous les changements. L'étude se découpe en trois époques distinctes : une époque d'occupation permanente des locaux, de la construction à la Révolution ; une période de tentatives pour redonner vie à Acey suite à la Révolution ; enfin, une époque de grandes rénovations après l'inscription puis le classement de l'abbatiale au titre des Monuments historiques dans la seconde moitié du xxe siècle.
Chapitre premier
De la construction à la Révolution : l'entretien d'une abbatiale au fil des siècles
De l'installation à Acey et jusqu'à la Révolution, l'abbaye connaît une occupation permanente de ses locaux, en dehors de brèves interruptions liées à des guerres. Les archives nous parlent donc de l'entretien courant de l'abbatiale et de ses réparations pour pouvoir l'utiliser.
Il n'existe pas ou plus d'informations concernant le sort de l'abbatiale durant les derniers siècles du Moyen Âge et au xvie siècle. On ne sait donc rien des transformations que l'église aurait pu connaître depuis sa construction, ou ce qu'il advient du bâtiment dans le cadre de la guerre de Cent Ans, des affrontements entre Charles le Téméraire et Louis XI, ou encore durant l'invasion du comté par Henri IV, en guerre contre Philippe II d'Espagne, en 1595. On suppose par exemple que l'abbaye a été pillée durant la guerre de Cent Ans par des bandes de mercenaires comme les Routiers, mais cela ne veut pas forcément dire que l'édifice ait été dégradé.
Il faut en réalité attendre l'introduction de la commende à Acey en 1545 pour voir se multiplier les documents au sujet de l'état de l'abbatiale. Ce système confie à un abbé commendataire le temporel de l'abbaye : celui-ci gère les revenus de l'établissement et est chargé de l'entretien des locaux et de la communauté religieuse. L'argent qui n'est pas utilisé pour ces missions lui revient personnellement. Ce système est source de tensions, puisque l'abbé a tendance à réduire au minimum les dépenses pour augmenter son bénéfice. Le parlement doit alors ordonner des visites pour constater les dégradations progressives des bâtiments et forcer l'abbé aux réparations. Laurent Outhenin, abbé commendataire de 1653 à 1672, incarne à lui seul ce conflit puisque la situation dégénère au point que la communauté doive engager des procès contre ce dernier. Les visites permettent donc d'entrevoir l'état de l'abbatiale et les réparations qui y sont effectuées au fil du temps, et notamment pour le xviie siècle, durant lequel se succèdent la guerre de Dix Ans (1636-1644), les conquêtes de Louis XIV à partir de 1667, et un incendie en 1683. Ces événements ne sont pas sans conséquence sur le bâti de l'église, et le manque de réparations engendre des dégradations dont la plus notable est la chute de la voûte des six premières travées de la nef.
Les dégâts liés aux guerres, à l'usure du temps et au mauvais entretien expliquent la nécessité d'une rénovation de grande ampleur au xviiie siècle. Les travaux réalisés par l'architecte François Albert sur l'abbatiale consistent alors en la fermeture de l'édifice au niveau de la deuxième travée de la nef et des collatéraux, afin d'isoler la partie qui a perdu sa voûte et de ne conserver que la partie orientale de l'édifice, suffisante pour une communauté réduite. Il aurait été trop coûteux de rétablir les voûtes. Seuls l'abside, le chœur, les chapelles, le transept et les deux premières travées sont donc remises en état. Les grandes arcades de la nef sont bouchées par des murs afin de transformer les collatéraux en appartements et en greniers. C'est donc un édifice amputé mais rénové qui affronte la tourmente révolutionnaire peu de temps après.
Chapitre II
De la Révolution au classement au titre des Monuments historiques : abandons, aménagements, rénovations
L'abbaye d'Acey est abandonnée par la communauté à la fin de l'année 1790, après que l'Assemblée constituante a supprimé les ordres monastiques. Les lieux perdent alors leur statut d'abbaye et sont vendus. Cependant, ils ne sont pas détruits pour en revendre les matériaux de construction, ce qui permet d’observer aujourd’hui l'église du xiie siècle, mais également d'envisager dès le xixe siècle le rétablissement d'une vie religieuse à Acey.
Différentes tentatives voient alors le jour : l'installation des Filles de Marie par l'abbé Bardenet, de 1830 à 1853 ; la fondation d'un prieuré de la congrégation des Bénédictins de Solesmes par Jean-Pierre Dépillier, en 1854 ; le transfert de la communauté trappiste de Notre-Dame des Neiges, de 1861 à 1862 ; la transformation en annexe, grange ou lieu de repos pour les malades par la communauté trappiste de Notre-Dame des Dombes, de 1869 à 1870. Il s'agit alors d'envisager les changements que ces communautés imposent à l'abbatiale. Les courts séjours de chacune d'entre elles et le manque de moyens financiers de la plupart expliquent le peu de modifications apportées à l'édifice. Le seul changement notable provient de la première communauté, celle des Filles de Marie : celle-ci isole les chapelles septentrionales, le bras nord du transept et les deux premières travées du collatéral nord pour en faire une chapelle, car le bâtiment est trop important pour ce petit groupe de religieuses. L'abbatiale est donc adaptée aux besoins de la nouvelle communauté. C'est également cette chapelle qui est utilisée par les groupes suivants, laissant alors le reste de l’édifice se dégrader.
En 1873, l'abbaye trappiste d'Aiguebelle choisit de prendre en charge la renaissance d'Acey en y envoyant des moines. Cette nouvelle communauté s’attelle à restaurer l'abbatiale dans son intégralité. Ceci passe par la reconstruction de l'abside à la fin de la décennie sous la direction de l'architecte Alfred Ducat, puis par deux campagnes de réfection du reste de la croix grecque en 1898 puis en 1909-1911, sous la direction de l'architecte Camille Cellard. Ce dernier fait réparer les lézardes, la charpente et la couverture, poser des joints en ruban et crépir les murs, retailler des chapiteaux, des bases et des cordons, et poser un nouveau carrelage. Il fait aussi rétablir deux lobes de la rosace à queue de paon du chœur qui avaient été occultés auparavant et construire un clocher. C'est peut-être également à lui que l'on doit l'installation d'un triforium dans le bras nord du transept, dans le cadre de la destruction de la chapelle des Filles de Marie. Alfred Ducat et Camille Cellard souhaitent restaurer sans dénaturer le bâtiment d'origine. C'est ce même souci qui anime le service des Monuments historiques dans la seconde moitié du xxe siècle.
Chapitre III
L'abbatiale Notre-Dame d'Acey, Monument historique
La seconde moitié du xxe siècle se consacre au grand et coûteux projet qui préoccupe la communauté depuis le xviiie siècle : le rétablissement de la voûte de la nef. Il est alors nécessaire d'agrandir l'édifice désormais trop petit et de stabiliser les piles de la nef qui penchent vers les collatéraux. Ceci permettrait également de rendre sa splendeur à l'édifice, d'autant plus que le monastère retrouve son statut d'abbaye en 1938 et que l'abbatiale est inscrite au titre des Monuments historiques en 1945. Une première tentative voit le jour dans les années 1940, mais elle n'aboutit finalement qu'à la construction d'une façade pour le collatéral sud et à la transformation des collatéraux en chapelles. Plusieurs projets sont envisagés par la suite, mais tous sont abandonnés pour des raisons financières. La question du financement motive d'ailleurs la demande de classement au titre des Monuments historiques, obtenue en 1971. Les travaux ont finalement lieu dans les années 1970 : il est alors décidé de ne pas restituer le niveau disparu de fenêtres hautes mais de poser cinq arcs brisés en béton prenant appui sur les chapiteaux des piles de la nef et continuant jusque dans les combles des collatéraux. La forme rappelle ainsi la voûte primitive et le poids des arcs maintient les piles en place. Les murs sont, eux, renforcés par un entrelacs d'acier. Par-dessus les arcs sont installées des pannes de bois, pour recevoir la couverture de tuiles. Un mur est construit en façade et celui du xviiie siècle est conservé à l'intérieur de l'édifice.
Le classement de l'abbatiale permet également d'entreprendre d'autres projets. Il est ainsi envisagé dès les années 1970 de modifier la rosace à queue de paon et quadrilobe du chœur, trop lumineuse et dénaturant l'édifice. Il est en effet peu probable que celle-ci date du xiie siècle, sans que la date de son installation soit connue. Le projet aboutit dans les années 1990 par l'occultation de la queue de paon. N'est alors conservé que l'oculus quadrilobé, qui est peut-être d'origine.
Troisième partie
Étude archéologique de l'abbatiale
L'étude de l'évolution historique de l'abbatiale a servi de base à l'étude du bâti car elle a permis d'identifier les parties d'origine et de connaître l'architecture primitive de l'édifice. Il convenait alors d'analyser le bâti de l'église dans son ensemble puis partie par partie avant de proposer un phasage et une datation de sa construction. La comparaison avec d'autres édifices, et en premier lieu avec l'abbatiale de Cherlieu, maison-mère d'Acey, a également apporté des éclairages intéressants pour cette recherche.
Chapitre premier
Observations générales
L'abbatiale adopte le plan traditionnellement qualifié de « bernardin » : il s'agit d'une croix latine à chevet plat constitué d'une abside et d'un chœur, et bordé de chaque côté par deux chapelles alignées ouvrant sur les deux bras du transept d'une travée chacun. La nef s'étend ensuite sur huit travées. L'édifice mesure environ 65 mètres de long pour 30 mètres de large au niveau du transept et 20 mètres au niveau de la nef. Les voûtes du chœur, du transept et de la nef s'élèvent à 20 mètres de haut tandis que celles des collatéraux, des chapelles et de l'abside se contentent de 11 mètres.
Les murs sont formés d'assises appareillées de moellons de petit et moyen format, tandis que les piliers et les contreforts sont constitués de blocs de grand format. Ceux-ci soutiennent l'édifice, ils se doivent donc d'être résistants. Il en va d'ailleurs de même pour les blocs des contours des fenêtres et des portes, ainsi que des chaînages d'angles, qui renforcent le bâtiment aux endroits les plus fragiles. Les murs ont été construits à l'aide d'échafaudages encastrés, comme le prouve la présence de trous de boulins. Plusieurs types de pierres ont été employés pour la construction de l'édifice, et à chacun semble correspondre un type de taille : on trouve des pierres brunes cassées au marteau têtu dans les premières assises des murs du transept et des trois premières travées des collatéraux, ainsi que dans l'élévation des murs du chœur et des chapelles, en alternance avec un deuxième type de pierre. Des pierres calcaires sont en effet également employées dans leur élévation, ainsi que pour les assises situées au-dessus de celles en moellons bruns dans le transept et les trois premières travées des collatéraux. Elles sont taillées de la taille décorative cistercienne, c'est-à-dire que les tailleurs ont créé un jeu d'alternance de traces d'outils sur les pierres, en changeant d'outil et de sens de frappe. Il s'agit d'une forme de décor pour des édifices qui respectent la simplicité et la pureté cisterciennes. Enfin, des moellons gris cassés au marteau sont utilisés pour les élévations de la nef et des collatéraux, respectivement à partir de la troisième et de la quatrième travée.
Les piliers de l'édifice sont des piles composées, des demi-piles, et des colonnettes d'angles. Les piles composées comprennent un noyau cruciforme, sur chaque face duquel s'élève une colonne engagée. Des colonnettes viennent s'encastrer dans les angles de ce noyau, pour soutenir par exemple les nervures des voûtes d'ogives. Elles n'ont cependant été mises en place que si elles avaient une utilité fonctionnelle. Les différents types de support sont en blocs de calcaire taillés au taillant. On note la très grande régularité des dimensions de ces supports, qui se répondent entre les différentes parties de l'édifice. La taille des supports était donc standardisée.
Le décor de l'édifice se résume à la taille décorative de la pierre, à la présence de cordons moulurés sur les murs et supports, aux corniches à modillons à l'extérieur et enfin aux sculptures des chapiteaux et des bases des piles. Les chapiteaux présentent ainsi une variété de feuilles lisses plus ou moins complexes. Les bases font alterner moulures et tores et finissent par des griffes, sur le modèle des bases du premier art gothique de la cathédrale de Sens. Les griffes évoluent pour former des hiboux dans les travées les plus occidentales de la nef.
Chapitre II
Analyse des différentes parties de l'église abbatiale
Il s'est agi dans ce chapitre d’analyser les différentes parties de l'édifice à tour de rôle en identifiant leur architecture d'origine et leurs méthodes de construction. Il serait cependant trop long d’en présenter ici le développement. Seuls quelques éléments importants pour le phasage et la datation de la construction sont donc mis en avant dans le chapitre suivant.
Chapitre III
Le déroulement du chantier de construction
Le plan de l'abbatiale ne suffit pas pour justifier une antériorité d'Acey par rapport aux édifices du groupe Langres-Clairvaux puis Cherlieu, à déambulatoire et chapelles rayonnantes, car cette architecture a été peu imitée par les Cisterciens. Cependant, il est possible que le chantier ait démarré avant l'apparition de ce modèle car les moellons bruns cassés au marteau et l'architecture du chœur reprennent les caractéristiques des premières églises cisterciennes telles celle de Fontenay. Acey adopte cependant dès le chœur les solutions du gothique cistercien proposées par ce groupe, comme la taille décorative, l'élévation à fenêtres hautes et les voûtes d'ogives. La construction de l'église a donc pu être commencée dans les années 1160-1170 avec le modèle bourguignon, avant d'adopter les caractéristiques de sa maison-mère, construite à partir de ces mêmes décennies. Le modèle n'est cependant pas recopié à l'identique et le rigorisme architectural comtois de l'époque semble limiter l'influence de ce gothique : ainsi, la voûte d'ogives n'a pas été utilisée partout, et le deuxième niveau d'élévation des murs n'a pas été percé de baies, contrairement à Cherlieu.
Le contour de l'édifice semble avoir été tracé par quelques assises en moellons bruns jusqu'à la troisième travée des collatéraux. L'élévation s'est ensuite poursuivie par l'abside, le chœur et les chapelles puis par le transept et les trois premières travées des collatéraux. Le bras nord du transept a été élevé avant le bras sud, comme le montre, entre autres, la différence dans l'avancement de la construction des colonnes médianes : celles-ci étaient destinées à l'origine à diviser chaque bras en deux travées et à soutenir un arc doubleau et les nervures des voûtes, comme dans l'abbatiale de Cherlieu, mais ce parti a été abandonné en cours de construction et les colonnes laissées sans usage. Le nombre de fenêtres a ensuite été adapté à ce changement de parti dans le bras sud. L'abside, le chœur, les chapelles, le bras nord du transept et les trois premières travées des collatéraux forment donc un premier ensemble, comme en témoignent également les modillons des corniches à l'extérieur, de style bourguignon et semblables sur toutes ces parties.
Une rupture de construction a lieu au niveau de la deuxième travée de la nef et de la troisième travée des collatéraux : les piles composées de la nef comportent un dosseret côté nef à partir de la troisième travée, et non plus une colonne, les assises de pierre brune cessent, et le type de pierre employé dans l'élévation est différent. Il semblerait donc que le chantier ait été interrompu à ce niveau. Peut-être faut-il envisager la présence de l'église du clerc Thierry à l'endroit des futures travées occidentales de la nef : l'abbatiale aurait été tracée et construite jusqu'à cet emplacement, tout en utilisant la petite église pour les offices. Une fois le chantier du sanctuaire terminé, l'église pouvait être détruite et ses pierres remployées, ce qui pourrait expliquer le changement de moellons. La complexification des motifs des chapiteaux et des bases traduit enfin l'avancement dans le temps du chantier et les inspirations artistiques de la fin du xiie siècle et du début du xiiie siècle.
Conclusion
L'abbatiale de Notre-Dame d'Acey appartient au courant des édifices cisterciens de la seconde moitié du xiie siècle qui adoptent en cours de construction les nouvelles solutions architecturales proposées par le gothique cistercien du groupe Langres-Clairvaux. Elle l'adapte alors aux traditions locales, le nuançant de rigorisme comtois. Il serait donc intéressant pour poursuivre cette étude de comparer l'abbatiale d'Acey aux deux autres édifices de la filiation de Clairvaux fondées durant la même décennie dans le comté : Balerne et Buillon. Le but serait d'examiner la part de chaque influence dans l'architecture de ces abbatiales cisterciennes comtoises.
Annexes
Tableau des filiations des abbayes cisterciennes comtoises. — Cartes présentant la situation géographique de l’abbaye Notre-Dame d’Acey. — Édition de chartes et pancartes de donation. — Listes des archevêques de Besançon et des abbés de Notre-Dame d’Acey. — Ensemble de photographies de l’abbatiale à différentes époques. — Plans réalisés en vue de restaurations (abside, façade, voûtes, rosace). — Photographies, plans, profils et relevés archéologiques de l’abbatiale. — Plans des abbatiales de Cherlieu et de Pilis.