De 1821 à 1829 : la création d'une nouvelle école

L’École des chartes des chartes est créée par Louis XVIII par l'ordonnance du 22 février 1821, sur la proposition du ministre de l'intérieur Joseph-Jérôme Siméon, lui-même convaincu par le projet du baron Joseph-Marie de Gérando. Depuis la Révolution, la suppression des congrégations religieuses et le transfert de compétences de l’Église à l’État avaient créé de nouveaux besoins en termes d'organisation, de conservation et d'étude des documents et des manuscrits issus des confiscations. Gérando proposa dès 1807 un premier projet à Napoléon 1er, que l'Empereur étudia avec attention, mais auquel il ne fut pas donné suite. Le contexte des années 1820 devait être plus favorable à la création de l’École des chartes.
De la défense de la Charte à la redécouverte de la civilisation médiévale
Sa fondation correspond à la redécouverte de la civilisation médiévale par la première vague romantique mais aussi au besoin de renouveler l'histoire nationale par l'étude directe des archives, des manuscrits et des divers dialectes, et d'entretenir la tradition de l'érudition, héritée des mauristes, en péril par manque de collaborateurs instruits dans la « science des chartes et des manuscrits ».
La conjoncture politique du milieu du règne de Louis XVIII, marquée par le retour des Ultras et la remise en cause de la monarchie constitutionnelle, influa sur la fondation d'une école versée dans l'étude et la conservation des chartes, le terme ne pouvant que renvoyer explicitement à la défense de la Charte et donc des droits et des libertés.
De 1829 à 1846 : création du titre d'archiviste paléographe et historiographie selon François Guizot

La nouvelle institution avait donc pour but de former des jeunes gens capables d'organiser les dépôts de documents et de renouveler l'étude des « archives entassées » et de « toute une branche de la littérature », l'étude des manuscrits et des dialectes. D'emblée, l’École des chartes se vit assigner une double mission, entre conservation et fabrique de l'histoire. Rapidement tombée en sommeil, elle est réorganisée par l'ordonnance du 11 novembre 1829 : les cours reprennent, aux Archives du royaume et à la Bibliothèque royale ; on apprend aux élèves la paléographie, la diplomatique et la philologie et leur formation est sanctionnée par le titre d'archiviste paléographe. Dans l'esprit de l'histoire totale de Guizot, l'ordonnance du 31 décembre 1846 réorganisa profondément l’École. Dotée d'un nouveau statut, elle quitte la Bibliothèque royale et s'installe dans l'hôtel de Clisson, aux Archives du royaume. La réforme touche aussi la scolarité : elle institua un examen d'entrée, porta à sept le nombre des professeurs et renforça l'excellence scientifique de l’École.
Des disciplines dispensées nulle part ailleurs

Le principe de pluridisciplinarité marque durablement le caractère de l’établissement. Un éventail de six enseignements est inscrit dans la réforme à l'article 8 de l'ordonnance du 31 décembre 1846 ; parmi ceux-ci, certains ne sont encore dispensés nulle part ailleurs : la paléographie, enseignée par Champollion-Figeac (« la lecture et le déchiffrement des chartes et monuments écrits »), l'archéologie par le cours de Jules Quicherat (« l'archéologie figurée, embrassant l'histoire de l'art, l'architecture chrétienne, la sigillographie et la numismatique »), la diplomatique (« l'histoire générale du moyen âge, appliquée particulièrement à la chronologie, à l'art de vérifier l'âge des titres et leur authenticité »), la philologie (« la linguistique appliquée à l'histoire des origines et de la formation de la langue nationale »), la géographie historique (« la géographie politique de la France au moyen âge ») et l'histoire du droit (« la connaissance sommaire des principes du droit canonique et du droit féodal »). L’École se transforme en une véritable école d'historiens. La thèse d'école, innovation de la réforme de 1846, donne également la clé du diplôme d'archiviste paléographe dont l'attribution est soumise à la soutenance d'un « acte public sur un thème imprimé [que les élèves] ont choisi » et consacre le chartiste comme historien chercheur.
Une véritable école d'historiens

Sont alors posées les bases scientifiques qui ont fait de l’École une institution à la pointe de la recherche historique, dont elle renouvela en profondeur les méthodes. La pédagogie de son enseignement par la confrontation aux sources fait référence en Europe, qu'il s'agisse de voyages d'étude archéologiques ou de cours de paléographie sur les fac-similés de documents anciens. La double visée de la formation, à la fois scientifique et professionnelle, donne, par son ambition, la clé de la réussite de l'École. Véritable « pépinière d'historiens », l’École a ainsi formé des générations d'intellectuels et de hauts fonctionnaires, acteurs des grands débats et évolutions de la France du XIXe siècle à nos jours, comme Jules Quicherat (promotion 1834), Léopold Delisle (promotion 1849), Paul Meyer (promotion 1861), Louis Courajod (promotion 1867), Arthur Giry (promotion 1870), Auguste Molinier (promotion 1873), Gabriel Hanotaux (promotion 1880), Charles-Victor Langlois (promotion 1885), Camille Enlart (promotion 1889), Clovis Brunel (promotion 1908), Michel de Boüard et Jeanne Laurent (promotion 1930), Régine Pernoud (promotion 1933), Henri-Jean Martin (promotion 1947), René Girard (promotion 1947), Robert Fossier (promotion 1949), Emmanuel Poulle (promotion 1954), Jean Favier (promotion 1954), Paul-Alberte Février (promotion 1955), Yves-Marie Bercé (promotion 1959), Michel Pastoureau (promotion 1972).
L'École et la modernisation des métiers de conservation

L’École a également participé activement à la modernisation des métiers de conservation. En se spécialisant, tout au long du XIXe siècle, dans une mission de service public orientée vers la conservation du patrimoine, les chartistes ont contribué à l'établissement d'un réseau dense d'archives et de bibliothèques, souvent cité en exemple, et à la définition de méthodes et de principes d'action, des cadres de classement des archives départementales aux catalogues des manuscrits de la bibliothèque royale. Ordonnances et décrets leur réservent progressivement une large part des emplois dans les bibliothèques et les archives ; à partir de 1829, ces débouchés « naturels » sont régulièrement confirmés, en 1846, en 1871 et au cours des années 1880 notamment, tandis que d'autres carrières s'ouvrent aux chartistes, dans les musées et les services de l'archéologie, de l'inventaire et des monuments historiques, dans l'enseignement et dans la haute administration.
L'École au cœur des mutations touchant les métiers du patrimoine

Au cours du XXe siècle, l’École n’a cessé d’accompagner les mutations touchant les métiers du patrimoine, assurant par exemple la préparation au diplôme technique de bibliothécaire dans les années 1930 jusque dans les années 1950. À partir des années 1990, l’École adapte sa formation au contexte : en particulier, par son engagement important dans le domaine des humanités numériques. En accompagnement à la création de l’École nationale du patrimoine (devenue en 2001 l'Institut national du patrimoine), elle renforce ses enseignements tournés vers l'histoire de l'art et l'archéologie, vers les nouveaux médias, vers l'histoire contemporaine, elle double la scolarité de stages multiples.
2005 : rappel par décret de la mission de l'École
Le décret n°2005-1751 du 30 décembre 2005 exprime ainsi la mission de l’École : « L’École nationale des chartes a pour mission la formation de personnels scientifiques des archives et des bibliothèques. Elle concourt à la formation de tous les personnels qui contribuent à la connaissance scientifique et à la mise en valeur du patrimoine national. Elle participe à la formation à et par la recherche des étudiants en sciences de l'homme et de la société, particulièrement dans les disciplines relatives à l'étude critique, l'exploitation, la conservation et la communication des sources historiques. Elle mène des activités de recherche et contribue à la diffusion et à la valorisation des résultats dans ces disciplines. » Fidèle à sa mission première, l’École se fixe ainsi pour priorités de faciliter l’accès aux sources écrites, visuelles, bibliographiques et électroniques, de former les futurs cadres de la conservation patrimoniale, d’élargir son auditoire aux étudiants en master et en doctorat ainsi qu’au public de la formation continue. Elle renforce son rayonnement en Europe et plus généralement, au niveau international.
2014 : une nouvelle adresse, une nouvelle étape de l'histoire de l'École et une inauguration officielle

L’École a quitté le 19, rue de la Sorbonne où elle était installée depuis 1897, pour occuper ses nouveaux locaux, au 65, rue de Richelieu, quartier d’origine de l’établissement, près de la Bibliothèque nationale de France, de l’Institut national du patrimoine, de l’Institut national d'histoire de l’art, de l’École du Louvre et du ministère de la Culture.

Le 9 octobre 2015, le président de la République François Hollande a inauguré le nouveau bâtiment → en savoir plus
L’immeuble du 65, rue de Richelieu, construit en 1929 pour Camille Ernest Descheemaeker, industriel de Tourcoing, est dû aux architectes Fernand Leroy et Jacques Cury. Formés à l’École des Beaux-arts dans l’atelier de Victor Laloux, ils construisent ensemble plusieurs immeubles parisiens dans le style Art déco dont le tout proche bâtiment du 75, rue de Richelieu en 1930, avec l’architecte Jacquard, qui abritait le siège social du tapissier d’Aubusson Hamot, et le spectaculaire « Building » ou « Paquebot » (1934), situé 37, rue du Louvre* et destiné au journal Paris-Soir de Jean Prouvost. Après la guerre, Fernand Leroy construira encore divers immeubles de bureaux remarquables (4-8, rue du colonel Driant et 115-117, rue Montmartre, en 1953, puis au 83, de la même rue, en 1958), une église, Notre-Dame des Foyers (1960), et des logements sociaux à Montreuil, des sièges d’entreprises…

Pour les ferronneries du 65, rue de Richelieu, comme pour celles de l’immeuble Hamot et du « Building de la rue du Louvre », les deux architectes font appel à Raymond Subes qui, depuis 1919, est le directeur artistique des ateliers Robert et Borderel, spécialistes de charpenterie métallique et de ferronnerie. Il a déjà conçu divers ouvrages de ferronnerie (grilles, rampes, consoles…) pour de nombreux immeubles d’habitation ou de bureaux et édifices religieux, exposé à l’Exposition des arts décoratifs de 1925 et participé à la décoration du paquebot Île-de-France (1927). Ici, il conçoit pour la façade et les portes d’entrée un décor géométrique utilisant le triangle comme motif décoratif, motif qu’il reprendra avec quelques variantes, notamment pour la grille de la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Toulouse (1935) et la porte d’entrée du 8, square d’Ornano à Paris.
À Raymond Subes peut aussi être attribuée la rampe de l’escalier dont le dessin est très proche d’autres exécutés pour des immeubles de ces mêmes années.
Bibliographie : Blanc (Karin), Ferronnerie en Europe au XXe siècle, Monelle Hayot, 2015
* (voir Agnès Chauvin, « 37, rue du Louvre : de Paris-Soir au Figaro », Livraisons d’histoire de l’architecture, n°11, 2006, p. 21-31)
Au cœur d’un réseau
Les liens de l’École nationale des chartes avec le monde francophone de l’enseignement supérieur et de la recherche ne sauraient être plus resserrés : l’École est établissement-composante de l’Université PSL (Paris Sciences & Lettres). Elle est également l’un des fondateurs de l’établissement public de coopération scientifique Campus Condorcet, créé par décret publié le 1er mars 2012.


Liste des directeurs
Début | Fin | Nom | Titre |
---|---|---|---|
1847 | 1848 | Jean-Antoine Letronne | membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1848 | 1854 | Benjamin Guérard | professeur à l'École des chartes, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1854 | 1857 | Natalis de Wailly | membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1857 | 1871 | Léon Lacabane | professeur à l'École des chartes |
1871 | 1882 | Jules Quicherat | professeur à l'École des chartes |
1882 | 1916 | Paul Meyer | professeur à l'École des chartes, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1916 | 1930 | Maurice Prou | professeur à l'École des chartes, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1930 | 1954 | Clovis Brunel | professeur à l'École des chartes, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1954 | 1970 | Pierre Marot | professeur à l'École des chartes, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1970 | 1976 | Michel François | professeur à l'École des chartes, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1976 | 1988 | Jacques Monfrin | professeur à l'École des chartes, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1988 | 1993 | Emmanuel Poulle | professeur à l'École des chartes, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
1993 | 2001 | Yves-Marie Bercé | professeur à l'université Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres |
2001 | 2006 | Anita Guerreau-Jalabert | directeur de recherche au CNRS |
2006 | 2011 | Jacques Berlioz | directeur de recherche au CNRS |
2011 | 2016 | Jean-Michel Leniaud | directeur d'études à l'École pratique des hautes études, professeur à l'École des chartes |
2016 | Michelle Bubenicek | professeur des universités, en histoire médiévale |
En savoir plus
- consulter une bibliographie sélective de l’histoire de l’École et de ses enseignements
- consulter la fiche Wikipédia de l’École nationale des chartes
- consulter la brochure de l’École
- (re)voir et écouter les interventions au colloque du 13 novembre 2015 « L’Histoire en mutation : l’École nationale des chartes aujourd’hui et demain »